Dates : 11-13 juin 2025

Lieu : Aix-en-Provence (ANOM)

Date limite pour soumettre une proposition : 1er décembre 2024

Argumentaire

Le 10 juin 2024, des associations de victimes du chlordécone tentaient d’obtenir l’ouverture d’un procès en cassant un non-lieu prononcé précédemment par la cour d’appel de Paris. Le pesticide chlordécone fut en effet massivement utilisé en Martinique et en Guadeloupe dans les plantations de bananes entre 1972 et 1993, en dépit des alertes sanitaires dès son apparition et des interdictions précoce aux États-Unis (1975) et plus tardive en métropole (1990). Cet auxiliaire d’une agriculture intensive de plantations a entraîné une pollution durable des sols et des eaux des nappes phréatiques et explique la prévalence supérieure des cancers sur ces territoires relativement à la métropole¹. L’utilisation généralisée du pesticide, comme l’absence de réparations judiciaires pour les victimes depuis son interdiction, sont vécues et présentées par les collectifs de victimes comme « un acte parfaitement colonial »².

Le drame révélé par l’irruption médiatique dévoile des rapports de prédation entre (post)colonisation et environnement. L’actualité des héritages coloniaux en matière d’environnement a fait l’objet de travaux en philosophie, géographie, science politique ou encore agronomie³. En histoire, les champs de l’histoire environnementale et de l’histoire des mondes coloniaux se sont croisés dans des perspectives globales (analysant les effets environnementaux de l’impérialisme depuis le « choc » colombien) ou dans des analyses situées principalement dans l’empire britannique⁴. Cette histoire environnementale des empires a également fait l’objet de travaux approfondis dans le domaine des représentations environnementales⁵, des jardins botaniques⁶ ou encore des savoirs agronomiques⁷. Il n’en demeure pas moins que l’empire colonial français demeure l’un des parents pauvres des études environnementales, notamment si on le compare à l’empire britannique. Pour contribuer à leur développement, ce colloque se propose de réunir les chercheurs et chercheuses travaillant (notamment) dans une perspective environnementale sur l’empire colonial français aux époques moderne et contemporaine. Tous les espaces de l’empire (Amériques, Antilles, Afrique, Asie, océan Indien, Océanie) sont concernés.

L’histoire de l’environnement peut contribuer aux questionnements historiographiques qui traversent l’étude des mondes coloniaux. L’actualité politique (à l’instar du scandale du chlordécone) interroge le legs du passé colonial (voire le caractère colonial du présent). Ce colloque porte, lui, sur le moment colonial et les différentes historicités environnementales charriées par les sociétés qui se construisent dans ce moment. Traditionnellement, l’historiographie a distingué la période du premier empire colonial de celle d’un second empire colonial, les abolitions de l’esclavage dans la première moitié du XIXe siècle marquant une césure aujourd’hui discutée⁸. Cette césure entre les « deux » empires, recouvrant dans une certaine mesure les périodes moderne et contemporaine, est également discutable du point de vue environnemental. La mise en place de politiques de conservation, de réseaux impériaux de jardins botaniques ou de plantations d’une agriculture intensive mobilisant une main d’œuvre corvéable sont autant de phénomènes environnementaux qui enjambent les deux périodes.

Qu’est-ce que le colonial fait aux rapports sociaux à l’environnement, et inversement, qu’est-ce que l’environnement fait aux sociétés coloniales ? Il s’agira de partir des acteurs et actrices des sociétés coloniales en analysant ce qui se joue dans la transformation, ou non, de leur environnement et de leurs rapports à celui-ci. La capacité de ces acteurs et actrices de la période coloniale à susciter, s’opposer, s’accommoder, subir ou tirer parti des transformations environnementales à l’œuvre constitue un questionnement central de ce colloque. Les communications pourront porter sur des trajectoires individuelles, sur des territoires spécifiques, sur des types de ressources.

Les contributions pourront s’insérer dans les axes suivants (non exhaustifs et transversaux) :

Axe 1. Travail et environnement

En quoi les paysages « coloniaux » sont-ils le reflet du travail de transformation de la nature propre aux processus de colonisation ? En forgeant la notion de « workscape », contraction de workplace et de landscape, Thomas Andrews invite à se pencher sur la manière dont le travail transforme les environnements. Pour les terrains coloniaux, cette notion appelle une analyse conjointe du travail et de l’environnement, l’un agissant sur l’autre, et vice-versa. Les histoires de l’extraction minière, des forêts, de l’agriculture et de la pêche sont sans doute les domaines où l’histoire du travail et l’histoire de l’environnement se croisent de façon évidente, mais bien d’autres aspects de l’histoire environnementale des empires bénéficieraient pourtant d’une histoire plus ancrée dans les réalités sociales coloniales : dans l’histoire des villes, des paysages et des savoirs naturalistes, par exemple, la dimension sociale demeure bien en deçà de ce qu’une lecture attentive des sources peut nous apprendre.

Axe 2. Transformations agro-pastorales et conflits fonciers

La thèse d’Alfred Crosby faisant de la colonisation des Amériques un moment de bouleversements écologiques constitue un classique de l’histoire environnementale⁹. Pour l’historien états-unien, l’introduction de nouveaux pathogènes produisit une hécatombe démographique aux Amériques, mais « l’échange colombien », c’est-à-dire la nouvelle circulation intercontinentale de plantes, d’animaux et de microbes, eut des effets considérables sur l’alimentation, la santé (humaine et animale) et l’environnement à l’échelle globale. Les introductions de plantes et d’animaux contribuèrent par ailleurs à la transformation des espaces colonisés en autant de « néo-Europes ». Le travail pionnier de Crosby a depuis lors donné lieu à de nombreuses discussions. En particulier, les circulations impériales du vivant produisent des effets plus souvent inattendus qu’attendus¹⁰. Si ces circulations par le biais des jardins botaniques sont aujourd’hui relativement connues¹¹, leurs effets en aval dans la transformation des territoires et des systèmes agro-pastoraux méritent d’être analysés plus en profondeur. Là encore, pour ne prendre qu’un exemple, si la diffusion de l’eucalyptus globulus à travers le globe depuis l’Australie, a fait l’objet de plusieurs recherches, ses effets dans l’empire français et au Maghreb notamment où l’arbre connaît un succès exceptionnel mériteraient de plus amples recherches¹². Plus généralement, les méandres de ces circulations du vivant, leur impact sur des territoires et des configurations sociales données, ainsi que les conflits fonciers naissant de ces compétitions d’usages de la terre pourront être interrogés.

Axe 3. L’eau, ressource en tension dans l’empire

L’eau est une ressource incontournable de l’organisation des sociétés et son « contrôle signifie aussi la domination sociale de certaines personnes sur d’autres »13. Dans une situation coloniale, la conquête, l’appropriation et la gestion de cette ressource s’exercent suivant des modalités spécifiques. Celles-ci ont été particulièrement bien renseignées par l’historiographie anglophone sur l’Inde britannique14. Le Nil a également fait l’objet de plusieurs travaux d’envergure pour les périodes coloniale et post-coloniale15. L’hydro-histoire de l’empire colonial français reste néanmoins peu connue. Les infrastructures hydrauliques, la construction de retenues d’eau à des fins d’irrigation ou de production d’électricité, la canalisation de cours d’eau, les conflits d’usages autour de l’appropriation de cette ressource précieuse ainsi que les conséquences socio-environnementales des épisodes de sécheresse sont autant de thématiques possibles de communications.

Axe 4. Détruire et protéger la nature

Le choc écologique produit par la colonisation favorise très tôt la construction d’une conscience de la fragilité environnementale des territoires colonisés, notamment dans les espaces insulaires16. Les premières mesures de protection de la nature sont mises en œuvre dès le XVIIIe siècle. Le moment colonial apparaît alors comme un moment singulier qui détruit et protège simultanément17. Ces mesures de protection sont par ailleurs des mesures d’exclusions ou de restrictions des usages fonciers autochtones. Si cette histoire de la conservation a constitué un objet privilégié des études en histoire environnementale des empires18, celles portant sur l’empire français sont encore trop rares19.

Axe 5 : Savoirs, santé et environnement

L’histoire des savoirs et l’histoire de la santé depuis le choc colombien ont donné lieu à une littérature abondante concernant principalement les empires espagnol et britannique. L’étude des relations entre métropoles et colonies, et les tensions perpétuelles entre ces deux pôles ont permis de redonner aux « périphéries » un statut d’acteurs dans la fabrication des savoirs relatifs, par exemple, aux plantes et aux animaux, aux microbes ou à l’influence du climat sur la santé. Des communications sur la construction des savoirs en général et des théories médico-sociales en particulier, et leur mise en pratique sur les terrains coloniaux pourront toucher aussi bien aux sciences dites « dures » qu’aux sciences sociales ou la médecine20.

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Modalités de soumission des propositions :

• Date limite de soumission : 1er décembre 2024
• Adresse d’envoi : empireenvironnement@gmail.com
• Format et attendus :
  • Une proposition, dans une limite de 3 000 signes. Les propositions incluront une présentation des sources sur lesquelles se fonde une recherche originale.
  • Un CV court (1 page)
• Réponse aux contributeurs.trices : mi-janvier 2025. Une première version des contributions orales sera envoyée en amont du colloque (30 mai 2025)
• Dates et lieu du colloque : 11, 12 et 13 juin à Aix-en-Provence (ANOM).
• Prise en charge : dans la limite du budget du colloque, les frais de transport et d’hébergement pourront être pris en charge pour les doctorant.es et les chercheur.ses sans poste.
• Comité d’organisation : Hélène Blais, Guillaume Blanc, Antonin Plarier.
• Comité scientifique : Hélène Blais, Guillaume Blanc, Samuel Cöghe, Caroline Ford, Laurence Monnais, Antonin Plarier, Violette Pouillard, Jan Synowiecki, Nessim Znaïen.

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Cela correspond aux ajouts demandés. N’hésitez pas si vous avez d’autres ajustements à effectuer !

Footnotes

1. Ludovic Boutrin, Raphaël Confiant, Chronique d’un empoisonnement annoncé. Le scandale du Chlordécone aux Antilles françaises 1972-2002, Paris, L’Harmattan, 2007. ↩
2. Jade Lindgaard, « Non-lieu du chlordécone, “on le vit comme un acte parfaitement colonial” », Mediapart, 23 septembre 2023. ↩
3. Mohamad Amar Meziane, Des empires sous la terre. Histoire écologique et raciale de la sécularisation, Paris, La Découverte, 2023 ; Malcolm Ferdinand, Une écologie décoloniale, Paris, Seuil, 2019 ; Benjamin Sultan et Richard Lalou, Les sociétés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest, Marseille, IRD Éditions, 2016. ↩
4. Hélène Blais et Antonin Plarier, « Une histoire environnementale des sociétés coloniales au XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, vol. 67 n° 2, 2023, p. 9-26 ; Guillaume Blanc, Antonin Plarier et Iris Seri-Hersch, « Vers une histoire socio-environnementale des empires contemporains », Histoire@Politique, n° 48, 2022. ↩
5. Diana K. Davis, Resurrecting the Granary of Rome: Environmental History and French Colonial Expansion in North Africa, Athens, Ohio University Press, 2007. ↩
6. Hélène Blais, L’Empire de la nature. Une histoire des jardins botaniques, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2023. ↩
7. Christophe Bonneuil, « Mettre en ordre et discipliner les tropiques : les sciences du végétal dans l’Empire français, 1870-1940 », thèse de doctorat en histoire contemporaine, Université Paris 7, 1997. ↩
8. Martin A. Klein, Slavery and Colonial Rule in French West Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. ↩
9. Alfred W. Crosby, The Columbian Exchange: Biological and Cultural Consequences of 1492, Westport, Greenwood Publishing Group, 1972. ↩
10. Karen Middleton, « The Ironies of Plant Transfer: The Case of Prickly Pear in Madagascar », in William Beinart et Joann McGregor (dir.), Social History and African Environments, Oxford, James Currey, 2003, p. 43-59. ↩
11. Hélène Blais et Rahul Markovits, « Introduction. Le commerce des plantes, XVIe-XXe siècle », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 66 n° 3, 2019, p. 7-23. ↩
12. Robin Doughty, The Eucalyptus: A Natural and Commercial History of the Gum Tree, Baltimore, John Hopkins University, 2000. ↩
13. Eva Jakobson et Terje Tverdt, Water Studies, vol. 1, Londres, IB Tauris Press, 2005, p. xix. Corey Ross, Liquid Empire. Water and Power in a Colonial World, Princeton, Princeton University Press, 2024.
14. Voir notamment : Rohan D’Souza, Drowned and Dammed: Colonial Capitalism and Flood Control in Eastern India, Delhi, Oxford University Press, 2006 ; David Gilmartin, Blood and Water. The Indus River Basin in Modern History, Berkeley, California University Press, 2015 ; Gopa Samanta, « Environmental History of Water in Indian Cities », in Ranjan Chakrabarti (dir.), Critical Themes in Environmental History of India, New Delhi, Sage Publications, 2020.
15. Jennifer Der, The Lived Nile. Environment, Disease and Material Colonial Economy in Egypt, Stanford, Stanford University Press, 2019 ; Terje Tvedt, The Nile. A New History of the World’s Greatest River, Londres, IB Tauris, 2021.
16. Richard Grove, Green Imperialism: Colonial Expansion, Tropical Island Edens and the Origin of Environmentalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
17. Guillaume Blanc, Mathieu Guérin et Grégory Quénet (dir.), Protéger et détruire. Gouverner la nature sous les tropiques, Paris, CNRS Éditions, 2022.
18. William Beinart, The Rise of Conservation in South Africa: Settlers, Livestocks and the Environment, 1770-1950, Oxford, Oxford University Press, 2003 ; Guillaume Blanc, L’invention du colonialisme vert, Paris, Flammarion, 2020 ; John Mackenzie, The Empire of Nature: Hunting, Conservation and British Imperialism, Manchester, Manchester University Press, 1988.
19. Martine Chalvet, « Les parcs nationaux en Algérie dans les années 1920-1930 », in Maryline Crivello et Karima Dirèche (dir.), Traversées des mémoires en Méditerranée, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2017 ; Caroline Ford, « National Parks and Natural Reserves in French Colonial Africa », in Bernhard Gissibl, Sabine Höhler et Patrick Kupper (dir.), Civilizing Nature: National Parks in Global Historical Perspective, New York, Berghahn Books, 2012 ; Adel Selmi, « L’émergence de l’idée de parc national en France. De la protection des paysages à l’expérimentation coloniale », in Raphaël Larrère, Bernadette Lizet et Martine Berlan-Darqué, Histoire des parcs nationaux, Versailles, Éditions Quæ, 2009, p. 43-58.
20. Pour l’empire français, voir notamment : Claire Fredj, « Soigner une colonie naissante : les médecins de l’armée d’Afrique, les fièvres et la quinine, 1830-1870 », Le Mouvement Social, nᵒ 257, 2016 ; Guillaume Lachenal, Le médecin qui voulut être roi. Sur les traces d’une utopie coloniale, Paris, Seuil, 2017 ; Laurence Monnais, The Colonial Life of Pharmaceuticals. Medicines and Modernity in Vietnam, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.

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